Le télétravail au quotidien

Entrevue : Thomas Vassilian, ingénieur logiciel sénior chez Red Hat, ancien architecte infrastructures TI à l’UQAM

Propos recueillis par Yves Poirier

Cet article devait être publié originalement comme étant le premier d’une série sur le télétravail. La situation engendrée par la COVID-19 à un peu bousculé notre façon de voir la chose. Nous sommes tous forcés au télétravail et au confinement à la maison. C’est donc dans un contexte tout autre, un peu irréel que nous vous présentons ce texte.

Nous sommes chanceux de pouvoir continuer à travailler alors qu’on voit les gens autour de nous, perdre leur emploi. Le télétravail est plus facile lorsque nous n’avons pas les enfants à la maison, mais en même temps, nous pouvons nous estimer heureux de travailler. Cette crise sans précédent va transformer à jamais nos façons de travailler. Elle est un puissant accélérateur d’une tendance qui se dessinait déjà à l’horizon dans notre transformation numérique. Si cette pandémie s’était produite ne serait-ce qu’il y a 15 ou 20 ans, nous serions dans une tout autre situation beaucoup moins facile.

En attendant de vous revoir, je vous souhaite de la santé et de la résilience et du bon temps avec vos proches en cette période trouble de nos vies. Courage et bonne lecture. Lavez-vous les mains. Ça va bien aller!

On parle de plus en plus de réorganisation de nos espaces de travail pour favoriser la collaboration, le travail d’équipe, l’innovation, etc. Mais quand on parle de cette réorganisation, on oublie souvent que les espaces collaboratifs, que les milieux de travail axés sur les activités (Activity Based Workspace) sont indissociables du télétravail. À l’UQAM, certaines équipes, selon la nature de leur emploi, ont l’opportunité de travailler à distance un certain nombre de jours par semaine. Certains ont aussi choisi de tenter l’expérience du travail en pleine mobilité en abandonnant l’approche traditionnelle et en libérant carrément leur bureau fermé. Mais qu’en est-il, quand le télétravail se vit au quotidien, à temps plein? J’en ai discuté avec notre ancien collègue Thomas Vassilian, maintenant devenu ingénieur logiciel sénior chez Red Hat. Voici donc le premier d’une série d’articles sur le télétravail et la transformation non seulement des espaces mais des façons de travailler en technologies de l’information à l’ère de la transformation numérique.

Qu’est-ce que tu aimes du télétravail?

La première chose qui me vient à l’esprit quand on dit “télétravail”, c’est le préfixe “télé” (qui indique la notion de distance). Cela ne veut donc pas dire d’être forcément chez soi. Et c’est exactement ça que j’apprécie le plus : la possibilité de travailler de l’emplacement de mon choix.

Évidemment, il faut être réaliste. Au vu de nos obligations familiales souvent bien remplies, les choix sont plus basés sur l’aspect pratique qu’exotique. Je vais donc optimiser mon temps de travail avec les rendez-vous personnels, familiaux et les déplacements associés.

Mes meilleurs amis sont donc devenus : un laptop performant, un casque d’écoute antibruit et un casque micro pour la vidéoconférence.

Cette souplesse me permet même de voyager pour voir ma famille à l’étranger tout en travaillant depuis cet autre pays, sans pour autant devoir délibérément dédier cette visite à des vacances.

De plus, côté carrière, j’aime beaucoup l’idée de pouvoir travailler au sein d’entreprises mondiales qui n’ont peut-être pas nécessairement de bureau ici à Montréal.

Qu’est-ce que tu n’aimes pas du télétravail?

En toute honnêteté, aujourd’hui ma réponse est : pas grand chose…

L’entreprise pour laquelle je travaille encourage et s’organise autour du télétravail. Les télétravailleurs sont majoritaires dans l’organisation et la collaboration en ligne, en vidéoconférence ou par messagerie instantanée, est une obligation.

Je pense par ailleurs qu’il existe un danger à considérer le télétravail tel un privilège ou un bonus : ça doit être un pilier de l’organisation du travail – une façon de faire intégrée au reste de la culture de l’entreprise. Des problèmes de communication peuvent alors survenir et les personnes à distance peuvent souffrir d’isolement par rapport au reste de l’équipe ou des autres équipes, ce qui peut amener plus que quelques frustrations.

Quand les gens travaillent à distance, il faut aussi parfois accepter des délais plus longs. Je m’explique : les outils de communication tels que la messagerie instantanée permettent au destinataire de répondre lorsqu’il le désire. S’il est concentré sur une tâche, il est possible que la réponse tarde à venir. De plus, puisque la proximité physique n’y est pas, le travailleur est plus apte à gérer son niveau de concentration : il peut choisir de se concentrer sur une tâche et mettre temporairement en sourdine toute distraction. Il faut donc s’adapter à cette réalité et, encore une fois, utiliser la technologie pour organiser le travail d’une manière qui convient à l’organisation : systèmes de billets, canaux d’urgences, etc. Ces éléments devraient aussi être mis en place dans l’organisation du travail traditionnelle, mais je sens bien que cela est encore plus utile dans un contexte de travail à distance.

Comment en es-tu venu au télétravail à temps plein et est-ce que l’UQAM te manque?

L’entreprise pour laquelle je travaille a une politique très ouverte au sujet du télétravail : ce n’est pas forcé du tout. Au début, n’étant pas familier avec le concept, j’allais au bureau tous les matins et faisais du télétravail uniquement lorsque j’avais un rendez-vous personnel ou familial qui venait compliquer ma journée.

Le changement vers le télétravail à temps plein s’est déclenché lorsque les personnes de mon équipe, toutes basées à Montréal, ont changé de poste (la promotion interne est aussi encouragée). Mes collègues proches et ma direction n’étant plus présents sur place, j’ai commencé à fréquenter de moins en moins le bureau. Aujourd’hui, le bureau officiel est un lieu disponible où je peux aller travailler pour le confort, si c’est plus pratique pour moi, pour y retrouver des amis ou lors d’événements particuliers. Cet endroit est devenu pour moi un emplacement de travail disponible au même titre que l’est mon chez moi et l’espace de co-working de mon quartier. D’ailleurs, il est bon de préciser qu’il y a de nombreux événements sociaux organisés par mon entreprise, ce qui aide à conserver un bon esprit d’équipe et un sentiment d’appartenance.

Enfin, concernant l’UQAM, la réponse est : oui! Sans aucune hésitation! C’est bien pour ça d’ailleurs qu’il m’arrive de venir travailler discrètement chez vous… 😉 Il y a quelque chose à l’UQAM qui n’existe nulle part ailleurs. C’est difficile à qualifier mais quelque part, l’idée d’appartenir à cette grande famille et de contribuer à sa réussite est l’une des plus belles aventures professionnelles que j’ai pu vivre. À mon avis, la sensation d’être utile et de construire ensemble est, je crois, ce qu’il y a de plus valorisant – tant professionnellement que personnellement.

Si tu avais à choisir et que la décision était totalement de ton ressort, tu imaginerais quoi comme environnement de travail idéal?

Je crois que le pari consiste à ce que les gens apprécient leur travail et y soient investis – avec un peu de passion pour que ce soit valorisant à tous les jours : que ce soit à travers les éléments technologiques, les défis, les relations sociales, la mission globale ou les valeurs de l’entreprise.

Personnellement, j’adore la liberté qui m’est offerte actuellement. L’ensemble des décisions techniques et même d’organisation sont prises en équipe, horizontalement et sans hiérarchie particulière. Les réussites et les défaites sont ainsi partagées. C’est très bon pour la cohésion d’équipe et ça apporte un lot de défis humains assez intéressants. Nous utilisons beaucoup l’expression “share the pain”. Cela serait certainement mon critère numéro un aujourd’hui pour un emploi idéal. Il m’est devenu inconcevable d’imaginer un environnement de travail où je devrais me battre pour chaque petit pas d’autonomie de l’équipe.

Pour finir sur une note plus techno, l’organisation du travail en mode «open source» est à mon sens aussi indispensable : quoi de pire que de passer une journée de travail complète, prisonnier dans un environnement impossible à personnaliser, impossible à améliorer et où la façon de penser est imposée… Après tout, l’imagination et l’innovation sont les points forts des humains. Pour le reste nous avons les robots et l’IA!

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